L’ETRANGE RENFORCEMENT DE LA RESERVE HEREDITAIRE DANS L’ORDRE INTERNATIONAL
La réserve héréditaire correspond à la part successorale minimale que la loi française accorde aux descendants et au conjoint survivant (en l’absence d’enfants).
L’application de la loi française n’est cependant pas absolue et la propriété de biens situés en France peut être dévolue selon une loi étrangère qui ignore la réserve héréditaire, et ce d’autant plus depuis l’entrée en application du règlement européen n°650/2012 du 4 juillet 2012 qui désigne par défaut la loi de la résidence habituelle du défunt. Ainsi un ressortissant français qui souhaite déshériter ses enfants ou l’un d’entre eux peut en théorie s’expatrier pour éviter l’application de la loi française…
La Cour de cassation avait eu l’occasion de se prononcer sur ce sujet par deux arrêts du 27/09/2017 que nous avions commentés sur ce site. En synthèse, la plus haute juridiction française avait considéré que l’application d’une loi étrangère ignorant la réserve héréditaire ne portait pas atteinte à l’ordre public international français, sauf état de précarité de l’un des héritiers.
A rebours de cette position, le rapport sur la réserve héréditaire du 13/12/2019 – signe de l’enjeu politique de la notion – proposait de conférer à la réserve des descendants un caractère d’ordre public international afin de pouvoir écarter la loi étrangère qui priverait un descendant de tout droit successoral.
Les auteurs de ce rapport viennent d’être entendus : par la loi n°2021-1109 du 24 août 2021, dite « loi confortant le respect des principes de la République » – tout aussi politique – l’article 913 du Code civil a été complété de l’alinéa suivant (accrochons-nous) :
« Lorsque le défunt ou au moins l’un de ses enfants est, au moment du décès, ressortissant d’un Etat membre de l’Union européenne ou y réside habituellement et lorsque la loi étrangère applicable à la succession ne permet aucun mécanisme réservataire protecteur des enfants, chaque enfant ou ses héritiers ou ses ayants cause peuvent effectuer un prélèvement compensatoire sur les biens existants situés en France au jour du décès, de façon à être rétablis dans les droits réservataires que leur octroie la loi française, dans la limite de ceux-ci. »
Ces dispositions s’appliquent aux successions des personnes décédées à compter du 1er novembre 2021.
Elles suscitent déjà la perplexité sur leur application pratique pour plusieurs raisons et principalement en ce qu’elles ont vocation à s’appliquer au seul motif qu’un bien est situé en France (alors que la situation n’aura aucun autre lien avec la France…).
Aussi, ces dispositions ne sont pas sans rappeler le droit de prélèvement – instauré en 1819 et censuré par le Conseil constitutionnel en 2011 – qui permettait à l’héritier français, évincé par une loi successorale étrangère, de prélever l’équivalent de ses droits héréditaires français sur les biens situés en France.
Si ce texte a passé les fourches caudines du Conseil constitutionnel, la question de sa conformité au règlement du 14 juillet 2012 sera sans doute posée à la CJUE…