Le changement de posture du juge quant au respect du cahier des charges de lotissement
L’OEIL DU NOTAIRE
Par un arrêt récent du 13 juillet 2022, la Cour de Cassation vient d’adopter une posture bienvenue, plus pragmatique que la précédente, au sujet de l’épineuse question de la sanction de la violation d’un cahier des charges de lotissement.
Jusqu’à présent, le juge sanctionnait systématiquement la réalisation de constructions édifiées en violation d’un cahier des charges de lotissement par la démolition, qu’il y ait ou non existence d’un préjudice pour le plaignant et quelle que soit son importance.
Désormais, le juge considère que la violation des dispositions du cahier des charges n’implique pas nécessairement la démolition, la sanction devant être fixée de manière proportionnelle entre l’intérêt du demandeur et les conséquences pour le propriétaire des constructions.
Ce principe, d’ores et déjà affirmé par le Code civil en son article 1221 est ainsi appliqué en matière de violation de cahier des charges (bien que l’arrêt ne fasse pas référence à ce texte).
Au cas d’espèce, les propriétaires d’une villa implantée dans le périmètre d’un lotissement ont assigné le propriétaire voisin qui, après avoir acquis la villa limitrophe, l’avait démolie pour construire un bâtiment d’habitation collectif. Les plaignants reprochaient en effet à leur voisin d’avoir construit ledit bâtiment en violation des dispositions du cahier des charges régissant le lotissement dont dépendent leurs propriétés respectives, lequel impose aux colotis d’implanter leur construction dans un carré de 30 mètres sur 30 mètres.
La Cour de Cassation s’exprime alors en ces termes pour refuser la demande en démolition : « Ayant retenu qu’il était totalement disproportionné de demander la démolition d’un immeuble d’habitation collective dans l’unique but d’éviter aux propriétaires d’une villa le désagrément de ce voisinage, alors que l’immeuble avait été construit dans l’esprit du règlement du lotissement et n’occasionnait aucune perte de vue ni aucun vis-à-vis, la cour d’appel, qui a fait ressortir l’existence d’une disproportion manifeste entre le coût de la démolition pour le débiteur et son intérêt pour les créanciers, a pu déduire, de ces seuls motifs, que la demande d’exécution en nature devait être rejetée et que la violation du cahier des charges devait être sanctionnée par l’allocation de dommages-intérêts. »
Le juge considère donc que le versement d’une réparation indemnitaire aux plaignants suffira à réparer le dommage.
L’OEIL DE L’AVOCAT
Si cette décision est bienvenue, elle doit aussi être un peu tempérée dans son importance. Les circonstances de fait, pourtant normalement étrangers au contrôle de cassation, sont largement évoquées par la Cour de Cassation, comme pour expliquer pédagogiquement la portée relative de l’arrêt.
La Haute Juridiction relève d’une part, et c’est significatif, que si le cahier des charges est violé en ce que l’implantation du projet collectif s’est faite en dehors de l’aire géographique prévue à cet effet, ce cahier des charges « n’avait pas prohibé les constructions collectives ». Ce qui doit conduire à une certaine prudence, quant à un éventuel nouveau principe qui aurait été posé par cette décision.
D’autre part, la Cour relève que l’expert judiciaire a estimé que de cette construction « il n’en résultait pas une situation objectivement préjudiciable mais seulement un ressenti négatif pour M. et Mme [Y] en raison de la présence, en amont de leur propriété, d’un ensemble de six logements se substituant à une ancienne villa. » et souligne encore que la Cour d’Appel a retenu que « l’immeuble a été construit dans l’esprit du règlement de lotissement ».
Une démolition d’un immeuble de 6 logements paraissant alors assez disproportionnée pour pallier à un ressenti négatif, alors que ce qui a été fait l’a été, « dans l’esprit » du lotissement …
On gardera donc cet arrêt comme un argumentaire utile, lorsqu’un coloti est confronté à une demande de démolition d’une construction prétendument réalisée en méconnaissance d’une disposition d’un cahier des charges de lotissement.
Mais on gardera également en tête qu’un projet de construction en lotissement requiert vigilance, et possiblement examen préalable de la faisabilité du projet au regard des dispositions contractuelles y applicables.
Me Anthony SCRIVE (TSD NOTAIRES) et Me Pierre-Etienne BODART (MONTESQIEU AVOCATS)