REGARDS CROISES SUR LA LOI DE REFORME POUR LA JUSTICE
La loi de programmation 2019-2022 et de réforme pour la justice a été publiée au Journal officiel le 24 mars 2019. Sa densité n’en permet pas une présentation exhaustive mais avocats et notaires ne résistent pas à un premier focus sur ses dispositions relatives aux époux.
- L’oeil du notaire :
Réforme et continuité…
La réforme, c’est principalement celle de la procédure de changement de régime matrimonial, dans laquelle le notaire est désormais bien seul… Seul, parce qu’avocats et juges n’interviennent plus systématiquement, notamment en présence d’enfants mineurs. Seul, surtout, pour apprécier si les intérêts des enfants mineurs sont suffisamment préservés. La question a fait débat lors de la navette parlementaire pour aboutir, comme souvent, à une solution intermédiaire peu satisfaisante parce que source de responsabilité pour le notaire et d’insécurité juridique pour les époux : l’homologation judiciaire systématique en présence d’enfants mineurs est remplacée par une possibilité de saisir le juge si le changement compromet « manifestement et substantiellement les intérêts patrimoniaux du mineur ou (porte) un préjudice grave à ceux-ci » (renvoi de l’article 1397 du Code civil à l’article 387-3). Prenons l’exemple d’époux qui adoptent un régime de communauté universelle avec attribution intégrale au conjoint survivant (qui dépense tout et anéanti ainsi la part successorale des enfants…) ; quelle responsabilité pour le notaire qui n’aurait pas saisi le juge ? Quel délai de prescription sachant que le droit commun pose un délai de 5 ans à compter de la découverte des faits permettant d’agir (art. 2224 CC) ? Les premiers commentateurs répondent que la jurisprudence antérieure – qui homologuait quasi systématiquement les changements de régime dans ce contexte – devrait rassurer le notaire. Mais pourquoi alors ne pas avoir abrogé totalement l’homologation judiciaire au lieu d’avoir instauré une référence textuelle insidieuse à la protection des intérêts du mineur…?
La continuité, c’est la déjudiciarisation de certaines procédures en matière de filiation : le notaire est désormais seul compétent pour établir un lien de filiation par possession d’état (si la filiation n’a pu être établie du vivant des parents notamment) et pour recueillir le consentement des époux à la procréation médicalement assistée.
- L’oeil de l’avocat :
La déjudiciarisation concerne tout autant l’avocat puisque la loi du 24 mars 2019 renforce le rôle de ce denier en matière de divorce. De manière directe, en étendant le « divorce par acte d’avocat » au divorce accepté (art. 233 CC) et à la séparation de corps (= séparation avec maintien du lien d’alliance). Et de manière indirecte en supprimant la phase de conciliation dans les divorces judiciaires ; la « demande en divorce », unilatérale ou conjointe, remplace la requête et l’assignation pour raccourcir la procédure judiciaire au profit de la phase amiable puisque la demande doit contenir une proposition de règlement des intérêts pécuniaires et patrimoniaux des époux. Corrélativement, l’ordonnance de non-conciliation est supprimée et remplacée par une audience facultative dite « de mesures provisoires » (à défaut d’accord). L’entrée en vigueur de ces dispositions est prévue pour le 1er septembre 2020 au plus tard.
Par ailleurs, l’avocat sera attentif aux décrets d’application attendus (dans la plupart des matières réformées) dans la mesure où la loi réforme véritablement la justice en déchargeant les juridictions de certaines fonctions (en favorisant notamment le recours aux modes alternatifs de règlement des différends) et en réorganisant les juridictions (transformation des TI et TGI en un « tribunal judiciaire », procédure écrite sans audience, numérisation…).