Revitalisation des territoires et permis d’aménager multi-sites
L’OEIL DE L’AVOCAT :
Le Ministre de la cohésion des territoires a été interrogé par le député Romain GRAU sur l’opportunité d’une évolution législative rendant possible à terme la délivrance de permis d’aménager multi-sites, à l’image de ce qui est aujourd’hui possible par exemple en ZAC.
Le député évoquait notamment, en l’état de la législation « des difficultés opérationnelles, une incohérence architecturale ou des risques contentieux importants » et soulignait l’intérêt qu’il pourrait y avoir sur un plan opérationnel et du renouvellement urbain, à recourir à cet outil « afin de proposer un tissu urbain rénové répondant aux nouveaux usages et aux nouvelles attentes en matière de logement et de commerce mais respectueux de l’existant bâti ou non bâti dans lequel il s’insère », alors que les pouvoirs publics soulignent régulièrement leur attachement à la redynamisation des territoires ruraux et des villes moyennes.
La réponse ministérielle confirme l’intérêt de cet outil et indique que le gouvernement examinera la possibilité d’admettre « à titre expérimental, des demandes de permis d’aménager portant sur plusieurs unités foncières non contiguës ». Le Ministre rappelle la mise en place du plan « action cœur de ville », opération lancée au printemps 2018, au bénéfice de 222 villes moyennes et dont deux des axes d’actions sont :
- de la réhabilitation à la restructuration : vers une offre attractive de l’habitat en centre-ville
- mettre en valeur les formes urbaines, l’espace public et le patrimoine
Le projet de loi ELAN dans sa version arrêté par la commission mixte paritaire le 20 septembre dernier confirme cette possibilité de permis d’aménager multi-sites.
L’article 54 I ter dispose en l’état : « À titre expérimental et pour une durée de cinq ans à compter de la promulgation de la présente loi, la mise en œuvre des actions mentionnées dans une convention d’opération de revitalisation de territoire prévue à l’article L. 303-2 du code de la construction et de l’habitation peut donner lieu, par dérogation à l’article L. 442-1 du code de l’urbanisme, à la délivrance d’un permis d’aménager portant sur des unités foncières non contiguës lorsque l’opération d’aménagement garantit l’unité architecturale et paysagère des sites concernés et s’inscrit dans le respect des orientations d’aménagement et de programmation mentionnées à l’article L. 151-7 du même code. La totalité des voies et espaces communs inclus dans le permis d’aménager peut faire l’objet d’une convention de transfert au profit de la commune ou de l’établissement public de coopération intercommunale compétent. »
Cette possibilité est ainsi logiquement limitée à la mise en œuvre d’opérations de revitalisation du territoire, visées à l’article L303-2 du CCH que le projet de loi ELAN (art. 54 I) prévoit de créer et qui se définissent par leur objet, à savoir : « la mise en oeuvre d’un projet global de territoire destiné à adapter et moderniser le parc de logements et de locaux commerciaux et artisanaux ainsi que le tissu urbain de ce territoire pour améliorer son attractivité, lutter contre la vacance des logements et des locaux commerciaux et artisanaux ainsi que contre l’habitat indigne, réhabiliter l’immobilier de loisir, valoriser le patrimoine bâti et réhabiliter les friches urbaines, dans une perspective de mixité sociale, d’innovation et de développement durable. »
Il est à noter que cette opération de revitalisation, -et donc le permis d’aménager qui lui donne corps-, devront selon le projet de loi ELAN s’inscrire « dans le respect des orientations d’aménagement et de programmation » du PLU.
Cependant, l’article L152 -1 du Code de l’urbanisme dispose que les travaux et opérations doivent être compatibles avec les OAP.
Il appartiendra alors au juge de préciser si dans le cadre de ces opérations de revitalisation des territoires un rapport plus strict, -confinant à la conformité-, devra exister entre permis d’aménager et OAP.
L’OEIL DU NOTAIRE :
On ne peut qu’être dubitatif quant au réel intérêt pratique de l’expérience qui va être menée, sauf à vouloir démontrer que les autorisations multi-sites… ne fonctionnent pas. En effet, compte tenu des contraintes qu’elle prévoit, l’initiative relève de l’utopie à plusieurs niveaux :
Tout d’abord, une expérimentation de 5 ans pour mener un projet immobilier n’est pas réaliste compte tenu de la durée moyenne de montage d’un programme (d’envergure ou non) et de maîtrise du foncier.
Ensuite, on ne relève pas d’avantage déterminant susceptible d’inciter un opérateur à s’inscrire dans le processus plus contraignant de « l’autorisation multi-sites » par rapport au cadre classique de la « multiplicité d’autorisations » :
- Il lui faut négocier et passer une convention d’opération de revitalisation de territoire,
- Il doit garantir une unité architecturale et paysagère, appréciée plus sévèrement sous contrôle du juge et selon des critères subjectifs,
- Il doit respecter, en sus des règles du PLU, les orientations d’aménagement et de programmation, également sous contrôle du juge.
En outre, on peut craindre une complexité accrue pour la gestion des questions i) de mise en oeuvre des garanties d’achèvement des travaux d’aménagement, ii) de la date de dépôt des futurs permis de construire et iii) de l’obteniton de la conformité administrative du permis d’aménager.
Enfin, le risque de contentieux augmente dans une matière où les motifs de recours ne manquent pas et alors que l’on cherche par ailleurs à les réduire ainsi que leur durée de traitement
Espérons que le texte final sera plus alléchant…