Le crédit-bailleur et la garantie de paiement des entrepreneurs
L’article 1799-1 du Code civil dispose ce qui suit aux termes de ses deux premiers alinéas :
« Le maître de l’ouvrage qui conclut un marché de travaux privé visé au 3° de l’article 1779 doit garantir à l’entrepreneur le paiement des sommes dues lorsque celles-ci dépassent un seuil fixé par décret en Conseil d’Etat.
Lorsque le maître de l’ouvrage recourt à un crédit spécifique pour financer les travaux, l’établissement de crédit ne peut verser le montant du prêt à une personne autre que celles mentionnées au 3° de l’article 1779 tant que celles-ci n’ont pas reçu le paiement de l’intégralité de la créance née du marché correspondant au prêt. Les versements se font sur l’ordre écrit et sous la responsabilité exclusive du maître de l’ouvrage entre les mains de la personne ou d’un mandataire désigné à cet effet. »
La 3ème chambre civile de la Cour de cassation s’est récemment penchée sur l’application de ce texte au cas d’un immeuble édifié dans le cadre d’un contrat de crédit-bail immobilier. La question était de déterminer si le maître d’ouvrage visé à cet article est le crédit-bailleur (en sa qualité de propriétaire et donc, de maître de l’ouvrage) ou le crédit-preneur (bénéficiaire d’une délégation de maîtrise d’ouvrage en vertu du crédit-bail). Dans l’hypothèse où cette deuxième solution devait être privilégiée, la Cour devait également préciser si la décision du crédit-preneur de financer son projet par voie de crédit-bail permettait de considérer qu’il a recours à un crédit spécifique pour financer ses travaux, au sens du 2ème alinéa précité?
Aux termes d’un arrêt en date du 3 mai 2018, la Cour de cassation a répondu à ces deux questions d’une manière claire, en considérant :
- d’une part que la notion de « maître d »ouvrage » doit se comprendre strictement. Bien que n’étant pas défini légalement, le maître d’ouvrage s’entend généralement de la personne, propriétaire de l’ouvrage ou titulaire du droit de construire, pour le compte de laquelle sont réalisés les travaux. Sur cette base, il est indéniable qu’étant propriétaire de l’ensemble immobilier, le crédit-bailleur ne peut qu’être le maître d’ouvrage, quand bien même il ne serait pas l’utilisateur effectif de l’immeuble réalisé. Le fait que le crédit-preneur bénéficie d’une délégation de maîtrise d’ouvrage inhérente au crédit-bail, lui permettant notamment de conclure les marchés de travaux et assurer le suivi de la construction, et soit à terme le bénéficiaire de la construction, ne suffit pas pour le rendre débiteur de l’obligation de fournir à l’entrepreneur la garantie prévue à l’article 1799-1 du code précité.
- d’autre part, et bien que la réponse à la première question règle la seconde, le juge précise que le crédit spécifique est celui qui est destiné exclusivement et en totalité au paiement des travaux exécutés par l’entrepreneur. Un crédit finançant ainsi les travaux mais également l’acquisition du foncier perd alors le caractère de « spécifique ». Au demeurant, il eut fallu pour que la question présente ici un intérêt, que le crédit-bailleur ait lui-même recours à un crédit spécifique, ce qui constitue une hypothèse totalement illusoire.